Non à l'Intelligence Artificielle dans l'art ! (FRENCH VERSION)
Suite à un contact avec un journaliste j'ai regroupé mes arguments, pour l'occasion, concernant l'utilisation des Intelligences Artificielles dans l'art.
J'ai essayé de structurer ces arguments par chapitre pour vous faciliter le repérage des points qui vous intéresse.
Bonne lecture !
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Depuis quelques mois l'Intelligence Artificielle a fait une entrée sérieuse dans le monde artistique, par le biais de logiciels tels que Midjourney, Stable Diffusion ou encore DALL-E, proposant à chacun de créer ses propres images à partir de prompt (descriptions textuelles).
Suite à cette première introduction des IA, de nombreux artistes se sont soulevés pour défendre leurs droits face à un programme immoral et qui enfreint la Loi dans bien des pays.
Aujourd’hui, suite à l'utilisation par la maison d’édition Michel Lafont d'images créer par Midjourney pour l'illustrer ces ouvrages au détriment d'artistes, et suite à ce type de crowdfunding pour générer une nouvelle IA plus puissante et encore plus immorale : UnrestrictedAI Art Powered by the Crowd, les artistes de tout pays tentent de se regrouper pour lutter pour leurs droits et prévenir des conséquences qu'un tel changement de paradigme pourrait entraîner pour la société et l'humanité.
Voici les différents points abordés par les artistes (dont je fais partie) :
. Concernant les programmes de création d'images :
Ces programmes fonctionnent grâce à une base de données alimentées par les œuvres d'artistes d'hier et d’aujourd’hui, sans leurs consentements, alors que ces œuvres ne sont pas libres de droits. Il s'agit donc d'un artiste-bot qui pille et plagie sans aucune impunité le travail d'autres artistes. Aucun droit d’auteur n’est versé, ni crédit respecté.
Autre point problématique : ces programmes sont pourtant payant. Ce qui soulève d'autres questions : à qui vont les gains de cette activité lucrative ? Que finance-t-elle ? Etc..
. Concernant son impact sur les artistes :
Au niveau professionnel : une fois de plus, les moyens de production sont accélérés, à moindre coût, au service d'une entreprise privée et au détriment d'un nombre potentiellement gigantesque de personnes. Aucun artiste ne peut être rentable face à une intelligence artificielle.
Cela entraîne une concurrence déloyale aussi bien dans le cadre du travail, que dans les concours artistiques importants dans la carrière d'un artiste. Ainsi, un artiste ayant utilisé Midjourney pour créer une œuvre à gagné le premier prix d'un concours d'art : (https://www.lebigdata.fr/midjourney-concours-art)
.
Concernant la société et l'humanité :
Ces programmes de créations d'images ne sont pas seulement des outils, ils incarnent un changement de paradigme dans la création qui pourrait nous coûter cher.
La British Airways s’était rendu compte que de plus en plus d’incidents apparaissaient, mineurs pour l’instant, en rapport avec le pilotage automatique (article ici).
Les pilotes lui faisant de plus en plus confiance perdaient certains automatismes dans des cas où le vol manuel était la seule solution. La British Airways a rappelé des pilotes retraités, qui n’avaient pas volé ou peu volé avec des pilotes automatiques aussi performants pour ré-apprendre le vol manuel aux pilotes actuels.
Nous voyons bien dans cette anecdote que lorsque nous externalisons une compétence, nous la perdons, comme un muscle que nous n’entraînons plus. L'utilisation d'une IA pour créer des images transforme considérablement notre processus créatif et notre rapport à la création. Notre processus créatif, se nourrit d'inspirations, de notre éducation culturelle et artistique, des expériences et émotions propres à une personne. Ces inspirations et autres éléments vont passer par les filtres de la psyché humaine qui sont spécifiques à chacun et aboutir à la création : quelque chose de personnel à cette psyché car retravaillé par un système de pensée particulier et individuel.
L'IA, par le biais
de prompt texte qu'elle impose, court-circuite les processus
psychiques intrinsèques à l’élaboration artistique.
D'une part parce qu'elle force l'individu à fonctionner en mots,
alors que nous savons que notre inconscient d'où est issue la
créativité fonctionne en images (cf. concept
de sublimation qui
est certes issu de la psychanalyse mais repris par la psychologie, et
toujours d'actualité). Il y a donc ici un non-sens. C'est d'ailleurs
le point qu'à très bien compris le marketing pour influencer nos
pensées, nos ressenties et ...nos consommations.
D'autre part, car la passivité que nous pousse à adopter ce programme ne laisse aucune place à l'imagination et à la créativité puisqu'un résultat est directement proposé. Ce n'est plus le lent et laborieux processus psychique que nous évoquions précédemment qui est en court mais un résultat immédiat. Je vais illustrer ce point par un exemple : lorsqu'un personne lit un livre, elle va se créer une représentation mentale des personnages, des lieux, de l'histoire. Si cette personne voit une adaptation de cette histoire en film après la lecture du livre, ses propres représentations mentales vont persister et à plus ou moins long terme, cohabiter ou fusionner avec les images du film. Tandis que, si une personne voit le film en premier et lit le livre ensuite, les images mentales qui accompagneront la lecture seront celle du film (soit des images déjà toutes prêtes) puisqu'elles sont déjà encrées dans la mémoire et l'inconscient. Cela est beaucoup moins coûteux pour l'esprit d'utiliser cette réponse déjà présente.
Yoann Lossel, artiste peintre français écrivait à ce propos sur son mur facebook : « L'art n'est pas seulement un objet de plaisir pour satisfaire un spectateur, c'est une démarche complète qui implique de mettre en mouvement son intellect, ses sens, ses émotions et de constituer un corpus cohérent en rassemblant cet ensemble. Tout le monde n'est pas capable de constituer ce corpus cohérent - qui comme tout travail demande de l'expérience - mais tout le monde, un jour, s'y essaie et prend plaisir à créer ».
Entre
l'acte créatif d'un artiste et l'utilisation d'une IA, nous pouvons
clairement constater que les processus psychiques et cognitifs à
l’œuvre ne sont significativement pas les mêmes.
La créativité
est loin d'être un don, elle a besoin d'être stimulé. Si la
créativité de l'homme ne peut plus s'exprimer dans son exercice
fondamental qu'est la créativité artistique, ne risque-t-on pas
d'affaiblir la créativité de l'homme de manière générale et sa
capacité à imaginer, à sortir des sentiers battus pour résoudre
un problème de vie ou un conflit pour ne citer que ces exemples, car
ces derniers reposent sur les mêmes ressources : celles de
trouver, inventer, créer une autre voie, une solution (propre à
chacun).
Pour des raisons qu'il n'est pas nécessaire de développer, cela va être un désastre écologique.
Dans la perspective ou l'artiste pour être rentable, devra s'adapter à ces nouvelles exigences et à cette concurrence, l'art non AI va devenir le privilège de ceux qui n'ont pas besoin de gagner leur vie et qui auront le loisir de pouvoir s'exercer sans contrainte. Autrement dit, l'art non AI deviendra le privilège de ceux qui sont « bien nés ».
L'IA, jusqu'à maintenant, a été construite de manière à ne pas représenter certains sujets comme la nudité. Il y a également des biais ethniques.
Concernant
le fait que l'IA est un outil comme un autre :
Comme
nous l'avons vu dans le paragraphe précédent, il faut caractériser
les outils et ne pas les confondre.
Tous les outils ne rentrent pas dans la même catégorie, même s'ils
appartiennent à la même classe, ils ne sont pas les intermédiaires
des mêmes forces et on ne délègue pas les mêmes tâches. Un
crayon et un ordinateur sont des outils, mais ils n'ont pas le même
impact sur nos civilisations.
Comparer l'arrivée de l'IA dans l'art à l'arrivée de la photographie est un parallèle tentant - et même intéressant car nous avons une documentation précise sur l'époque, un témoignage pour prendre du recul - mais il ne me semble pas pertinent. L'appareil photo a bouleversé une approche figurative à la recherche de l'hyperréalisme, mais nous parlons d'une révolution stylistique. L'appareil photo n'est pas un outil pour produire des œuvres d'art, il n'a pas été pensé dans ce sens. L'appareil photo est un médium au sens strict, qui peut être utilisé pour produire une œuvre d'art. Un outil qui n'a pas de base de données dans laquelle puiser, qui ne compose pas en ayant ingéré les différentes règles de composition, qui n'a pas de sujet (L'IA, en quelque sorte, a des sujets, il les organise en fonction de votre demande). Une fois l'appareil au bout de votre bras, vous devez faire appel à votre imagination et donner une intention à cet instant jusqu'à atteindre votre représentation mentale idéale. La photographie est une exploration de la perception et du regard pendant laquelle le photographe ne cesse d’être en contact avec son intérieur.
La Fonction de l'art n'est pas raccord avec l'utilisation des IA :
L'art depuis qu'il est apparu au côté de l'Homme a toujours eu une fonction sociale. Il permet de partager des représentations, des émotions, des craintes. C'est un langage de l'homme pour l'homme. C'est un média de la communication. L'intervention de l'IA entrave cette fonction.
C'est un élément qui reflète un temps, une époque particulière. D'où l'histoire de l'art. L'art parle de nos progrès et de nos questionnements, de notre développement (il contient les mémoires collectives et inconscientes). Il parle à plusieurs échelles : d'un point de vue individuelle, mais aussi d'un point de vue groupale ou sociétale. De tout temps, l'art a servi à commémorer les événements, forger les souvenirs, glorifier les individus. Il joue un rôle dans la construction de l’identité des individus et des sociétés.
L'art, c'est aussi une transmission de savoirs et de techniques que des individus se transmettent de génération en générations. Or, depuis la révolution industrielle, il existe une perte réelle et importante de savoir faire dans les métiers de l'art et de l'artisanat. Celle-ci ne serait qu'être accentuée par l'arrivée de l'IA.
L'art, la création, comme le montre l'art thérapie, possède de nombreux effets bénéfiques. comme un travail sur le subconscient, une meilleure confiance en soi et connaissance de soi. Mais ces effets seront-ils toujours présents avec l'incorporation de l'IA dans l'équation ? Notamment concernant la connaissance de soi, la confiance en soi et l'estime de soi alors qu'on est dépendant d'un objet extérieur à soi.
Huxley disait : « L'art, lui aussi, a sa morale, et un grand nombre de règles de cette morale sont identique, ou au moins analogues, aux règles de l’éthique ordinaire ».
« Nous
nous reverrons dans un lieu où il n'y a pas de ténèbres. »
Orwell
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